Haro sur le haro ! ou Qu'on les castre tous, on sera enfin tranquille !

Haro sur le haro !

Haro sur le haro !

ou

Qu’on les castre tous, et on sera enfin tranquille !

 

Qu’on les castre tous, et on sera enfin tranquille ! Qui ça, tous ? Eh, bien, je parle des ados, bien sûr ! Parce que les hormones de nos ados inquiètent les professionnels de santé français, figurez-vous ! Enfin, leurs hormones, non, c’est plutôt leur intérêt pour le porno qui les inquiète. Intérêt directement lié à l’afflux hormonal de la puberté (dès huit ou neuf ans, eh oui !), qui entraîne chez les deux sexes l’apparition des poils, le développement des zones sexuelles, la masturbation intempestive, et autres joyeusetés liées à la maturation sexuelle. D’où l’intérêt pour la sexualité ; d’où l’intérêt pour le porno. C’est paaaaas bien, les enfants ! Bref, plusieurs éminents toubibs crient haro sur le porno et en appellent au gouvernement pour qu’il sévisse – subjonctif de sévir, bien sûr, rien à voir avec quelques sévices que ce soient. Pour lire l’article du journal Le Monde sur ce sujet, cliquez ici.

Figurine en terre cuite d'Eros - Athènes - Musée de l'Agora Antique - 3ème siècle avant JC - Photo par Giovanni Dall'Orto

Figurine en terre cuite d’Eros – Athènes – Musée de l’Agora Antique – 3ème siècle avant JC – Photo par Giovanni Dall’Orto

Adolescent, mon ami, de quelque sexe et orientation que tu sois, méfie-toi ! Au dix-neuvième siècle aussi, les professionnels de santé français ont tiré la sonnette d’alarme sur tes pratiques. C’était la masturbation qui leur posait alors problème. La branlette, assuraient-ils, constituait un vrai danger pour le développement physique des enfants et des adolescents, entraînant épuisement, amaigrissement, anémie, abrutissement… Cette dangereuse pratique pouvait même, dans les cas extrêmes, mener au crétinisme ou à la mort pure et simple. Heureusement qu’ils étaient là, eux, les médecins, pour sauver la jeunesse française ! Car ils avaient la solution miracle, pour débarrasser les enfants de leurs mauvaises habitudes : l’ablation pure et simple du gland ou du clitoris. Ah ! Mais c’était pour leur bien, à ces chérubins. Pour qu’ils soient en bonne santé.

Alors, jeunes pubères et prépubères, méfiez-vous ! Quand, les toubibs commencent à rameuter l’opinion sur un problème, c’est qu’ils ont le traitement dans la manche, croyez-moi. Car, vous qui consommez du porno, vous êtes des additcs, si si, ce sont nos professionnels de santé qui le disent, et s’ils le disent, c’est qu’ils savent de quoi ils parlent. Sachez-le l’addiction, ou toxicomanie, est cataloguée comme une maladie. Et comme vous êtes addicts à cette chose scandaleuse, la pornographie, c’est que vous êtes aussi addicts à bien d’autres choses, car une addiction entraîne l’autre. Vous êtes donc aussi addicts aux jeux vidéos et aux réseaux sociaux, et l’isolement social vous guette, drogués que vous êtes !

Jardin des Délices - humanité panneau central detail 2 - Bosch

Jardin des Délices – humanité panneau central detail 2 – Bosch

Qu’est-ce que ça veut dire ? Tout simplement que quoi que vous consommiez en réalité en ligne, vous êtes catalogué comme étant addict, et par extension zieuteur fou de porno. Vous êtes donc malade. Combien parions-nous que les labos pharmaceutiques vont nous sortir de jolies petites pilules pour vous soulager de vos polyaddictions – et de vos branlettes, par la même occasion ? Gare à vos miches, les gosses !

Mais, pas d’inquiétude : les professionnels de santé français ont aussi des solutions douces, pour que vous ayez un comportement et une sexualité correspondant à leurs goûts : on vous donnera bientôt trois cours obligatoires par an de conformité sexuelle. Vous êtes contents ?

Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne prône pas la consommation de porno par les minots et les ados.

Fermière - Camille Bombois

Fermière – Camille Bombois

Simplement, s’ils regardent, c’est que ça les intéresse ; si ça les intéresse, c’est qu’ils ont l’âge de regarder. Ils veulent savoir comment ça se passe et à quoi ressemble l’autre sexe, sous ses vêtements. C’est sain et légitime. Avant Internet, les revues de cul circulaient, et aussi les VHS du film porno du samedi soir de Canal. Et cela dès l’école primaire. Beaucoup d’adultes ont malgré cela une sexualité satisfaisante et des rapports assez corrects avec l’autre sexe, n’en déplaise à nos professionnels de la santé qui sont, soit d’une génération qui n’a même pas réussi à maîtriser un magnétoscope, et donc largement andropausés, soit complètement refoulés, et donc malades mentaux. Messieurs des labos pharmaceutiques, pensez à eux.

Tous ces Diafoirus veulent qu’on trouve le moyen d’empêcher absolument l’accès du porno aux mineurs. Et pourquoi donc ? Pour que cela ait encore plus d’attrait à leurs yeux ? Donnons-leur simplement accès à d’autres images affriolantes plus réalistes et moins sexistes. Il existe du porno féministe.

La Tentation de Saint Antoine - Joos van Craesbeeck - vers 1650

La Tentation de Saint Antoine – Joos van Craesbeeck – vers 1650

Que redoute-t-on exactement ? Que les jeunes prennent ces films pour la réalité vraie ? Pourtant on ne craint pas que les gosses ne deviennent des criminels en série en regardant des thrillers ou des films d’horreur. C’est vrai, quand ils regardent des contenus violents, on dirait que tout le monde s’en fout. Il faut croire qu’on leur octroie l’intelligence suffisante pour comprendre que ce sont des fictions, propres à leur faire ressentir sans danger le plaisir de la montée d’adrénaline liée à la peur. Peut-être estime-t-on que c’est le moyen de les libérer par catharsis de ce qu’il y a d’animal et de cruel, de joie à voir souffrir, dans notre nature soi-disant humaine – je doute quand même que nous soyons nombreux à pousser cette réflexion si loin. Bref, on semble considérer que les mioches ont suffisamment de bon sens pour ne pas s’inspirer de la violence de certaines fictions et qu’ils n’iront jamais dépecer la voisine. Et, dans la grande majorité des cas, c’est vrai qu’ils s’abstiennent. Pourquoi donc ne leur octroyons-nous pas le même bon sens en ce qui concerne le porno ?

Jardin des Délices - humanité panneau central detail 1 - Bosch

Jardin des Délices – humanité panneau central detail 1 – Bosch

Ce que je prescris, moi qui ne suis pas médecin, c’est moins de violence et plus de sexe. Et surtout qu’on valorise la culture sous toutes ses formes aux yeux des enfants. Parce que seule l’ouverture d’esprit peut nous donner un monde tolérant et tolérable. Alors oui, bien sûr, il faut donner aux gosses des cours d’ouverture à l’autre et à la sexualité. Pas trois par an, mais un par semaine et cela dès l’école maternelle. Parce que, si on veut un vrai respect entre les sexes, y compris dans les rapports sexuels, il faut commencer dès le plus jeune âge. En plus de l’enseignement physiologique, il faut étudier avec eux des romans et des tableaux et des photos et des films, d’abord d’amour, puis érotiques, puis pornographiques, et les remettre dans leur contexte – notamment historique – afin d’apprendre aux jeunes comment avoir une vision personnelle et un sens critique.

Parce qu’à mon sens, avoir une vaste culture sur le sujet et du recul, c’est un bon point de départ, pour arriver à une sexualité épanouie.

 

© Copyright : Erin-Liebt

Les deux Frida - Frida Kahlo - 1939

Le cœur a ses… instincts que la raison ignore

Ce petit texte dépressivo-marrant, exhumé des strates profondes de paperasses dont débordent mes tiroirs, a été rédigé au siècle dernier, hé oui ! Je m’y reconnais, et en même temps… non, ce n’est pas possible que ce soit de moi ! Ai-je vraiment été si jeune et si… je ne trouve même pas les mots : si naïve ? si cruche ? si soumise ? si… ben, oui, cliché. Et mon style, est-il possible qu’il ait été si châtié ?

Diego et moi - 1949 - Frida Kahlo

Diego et moi – 1949 – Frida Kahlo

Si on s’écoutait, on les enverrait au diable, lui, son téléphone portable, ses humeurs, ses angoisses, ses manies et toutes ses encombrantes autant qu’innombrables ex en prime.

Pourquoi diantre ne le fait-on pas, alors que :

1 – On a suffisamment de problèmes comme ça.

2 – On déteste les téléphones portables.

3 – On est jalouse comme un pou – on ne se refait pas !

4 – On est trop paresseuse pour courir derrière les gens.

5 – On a des bouffées de chaleur en pensant à notre orgueil honteusement bâillonné.

Et surtout :

6 – Cette satanée ville est peuplée d’hommes charmants qui, certainement / sans aucun doute / fatalement ( ne rien rayer : il ne s’agit pas d’un QCM ) ne demandent qu’à nous prendre… (dans leurs bras virils Z’et musclés, hé !)

Alors donc, pourquoi sommes-nous aussi gluante qu’un vieux bonbon ?

… PARCE QUE !

Le cerf blessé - 1946 - Frida Kahlo

Le cerf blessé – 1946 – Frida Kahlo

Parce que :

1 – On est têtue.

2 – Ses ex font la même chose, on s’en voudrait de changer ses habitudes.

3 – On n’admet pas qu’on nous résiste.

4 – On lui a demandé cent fois s’il nous filtrait / évitait / en avait assez de nous / ne voulait plus nous voir ni nous entendre / nous aimait – non, pardon ! ça c’était à un autre ! À chacune de ces questions, il a répondu : « Mais noooon ! » (L’autre aussi d’ailleurs, y compris à la dernière, le mufle !) En aucun cas on ne se permettrait de penser qu’il n’est qu’un menteur / hypocrite / lâche.

5 – Il nous fait craquer.

Et surtout :

6 – C’est toujours quand on est prête à se donner au premier venu qu’il n’y a pas de premier venu.

Maintenant qu’on a pesé le pour et le contre, on comprend mieux pourquoi on ne sait pas quoi faire : ils sont à égalité. En résumé, on vient d’économiser le prix d’une séance de psychothérapie.

Sauf que tout cela n’explique pas pourquoi on ne tombe que sur des bizarres. À croire qu’on les attire !

Les exemples ne manquent pas :

Il y a eu celui qui, après un an de fréquentation, nous a dit : « Non, vois-tu, je ne t’aime pas vraiment. En fait, je te considère comme ma sœur. »

On n’a même pas cherché à savoir s’il lui faisait les même choses qu’à nous, à sa sœur.

Et aussi celui qui manque de confiance en lui et qu’on a si bien rassuré sur son pouvoir de séduction qu’il s’est tapé notre meilleure copine – enfin… notre ex-meilleure copine, maintenant.

N’oublions pas celui qui nous emmène quand il va draguer, parce que : « Dans un couple, le plus important, c’est la complicité. »

Quelques petites piqûres - 1935 - Frida Kahlo

Quelques petites piqûres – 1935 – Frida Kahlo

Celui qui va voir sa mère. Souvent. Très très souvent.

Mais finalement, on s’inquiéterait encore bien davantage si on y croyait.

Celui qui s’étonne : « Quoi, tu veux sortir seule ? Bin t’as qu’à sortir sur le balcon. »

Celui qui tourne au mystique et refuse de nous faire l’amour à seule fin de « conserver sa force ».

Et à l’inverse, celui qui nous fait l’amour et nous jette dès le lendemain matin, parce qu’il n’aime pas les salopes !

On n’évoquera même pas les différentes bizarreries et autres perversions plus ou moins sexuelles qu’on a dû… avaler.

Mieux vaut s’arrêter là : on frise déjà la dépression.

On rêve de vivre un conte de fée, le genre « La belle et la bête », avec un homme sauvage / viril qui nous prendrait fougueusement et nous traiterait comme une princesse, et on se retrouve dans « La belle et le bête », bref dans une histoire digne d’une série télé française ! Affligeant !

Peut-être est-ce de l’ordre de la perversion sexuelle : une sorte de jouissance scandaleuse autant qu’inconsciente qui nous pousse à tout accepter, voire même à nous humilier.

Quand même ! Comment admettre que notre sexualité aille se nicher si bas ? !

Il faut pourtant avouer que plus un homme nous utilise, nous rabaisse, abuse de notre bonté, nous trompe, nous fait tourner en bourrique, plus on s’accroche.

Parfois même, on en redemande. Quitte à l’aider à nous tromper, s’il le faut !

On peut tout accepter sans scène, sans grogne, sans mauvaise humeur aucune. Admirable ! On ne le vivrait pas, on ne le croirait pas. D’ailleurs, nous-même, on n’en croit pas nos yeux.

N’allez pas croire qu’il s’agisse d’aveuglement, de peur de la solitude ou de naïveté. Non, en fait, c’est du masochisme.

On aime souffrir.

C’est vrai.

Recuerdo - 1937 - Frida Kahlo

Recuerdo – 1937 – Frida Kahlo

Les hommes normaux / faciles à comprendre / aimants sont profondément ennuyeux. La preuve, c’est à eux qu’on réserve nos scènes et l’étalage de notre mauvais caractère.

Faut bien mettre du piment dans la relation…

Il faut se rendre à l’évidence : plus ils sont désaxés / désespérés / dégénérés, plus on les aime.

Peut-être tout simplement par instinct.

C’est pratique, l’instinct. On n’a pas à se chercher de raisons, puisque, par définition, l’instinct, c’est irraisonné.

On dira donc qu’on aime d’instinct un type d’homme bien déterminé.

L’instinct…

Mais quel instinct, au juste ?

De conservation ? De reproduction ? D’uniformisation ? De contradiction ? De transgression ? D’aberration ?

Non.

De complication, tout simplement.

Erin Liebt, 1998 ou 99, par là.

À la lumière de quelques années d’expérience(…s) de plus, je pense que c’est plutôt l’instinct de compétition qui nous anime. Ce qu’on veut, c’est gagner la partie.

Plus un cœur est difficile à prendre, plus la lutte est motivante : on veut être celle qui sera élue parmi toutes les autres, déclarée unique et adulée. Celle qui détient le seul pouvoir qui compte : celui de faire souffrir.

Ça ne sert à rien de quitter un homme qui ne nous regrettera pas…

 

© Copyright : Erin-Liebt

Lettre à une inconnue ou Filles d’Eve

 

Je ne vous connais pas.

Je ne vous reverrai sans doute jamais.

Même si je vous revoyais, je ne suis pas sûre de vous reconnaître.

 

Je prenais un café en terrasse, en face de l’hôpital. J’attendais quelqu’un. J’écrivais.

Vous vous êtes assise à la table près de la mienne. Vous étiez avec votre mère et votre petite sœur de quinze ans. Je sais qu’elle a quinze ans parce que j’ai surpris votre conversation. Vous, vous avez vingt-et-un ans.

 

Je n’ai pas pu faire autrement que d’entendre et, au début, j’en ai été plutôt satisfaite : il y avait une dizaine de minutes que vous aviez une discussion animée, toutes les trois, à quelques mètres de là, debout sur le trottoir, et cela avait attiré mon attention. Parce que vous êtes jolie.

Enfin, jolie… oui, mais ce n’est pas ce qui m’appelait en vous. Je vous trouvais un petit visage farouche et charmant, une silhouette fluide et fuyante… bref, une grâce féline et un peu garçonnière, bien propre à éveiller ma sympathie… et ma jalousie, tant l’instinct de rivalité est inscrit dans notre être, à nous autres femelles.

 

Duel deux femmes -1908

J’ai vite regretté d’être témoin de votre conversation.

Ce n’est pas seulement le sentiment dégradant de la rivalité que l’on nous inculque, à nous les femmes – afin sans doute de décourager toute solidarité entre nous et mieux nous asservir en nous isolant -, c’est aussi l’esprit de culpabilité et de sacrifice. Jamais cela ne m’était apparu aussi clairement.

Moi qui portais un regard un peu condescendant sur les luttes féministes, vous rencontrer m’a dessillée. Oh ! Ce n’est pas que ce que j’ai saisi de votre vie se soit révélé inconcevable, non, c’est sa banalité même qui m’a frappée.

 

Vous étiez dans ce café, parce que vous sortiez des urgences : votre mère vous avait obligée à y aller. La veille, votre copain vous avait mis une raclée. Depuis vous entendiez mal d’une oreille et vous aviez trouvé du sang sur votre oreiller, au matin. Vous aviez tout un côté de la mâchoire enflé.

– Mais pourquoi tu restes avec lui ? a attaqué votre mère. Si tu aimes qu’on te frappe, tu n’as qu’à rentrer à la maison ! Je te frapperai, moi !

– C’est de ma faute, avez-vous dit. Il était malheureux parce que je l’ai trompé ! Et quand il a commencé à cogner, je l’ai insulté : ça l’a rendu fou.

– Faut dire, qu’avec le caractère que tu as… T’es incapable de la fermer, c’est plus fort que toi ! Tu t’emportes, tu t’emportes et voilà !

– Et puis, je rentrerai jamais chez toi ! Pour que ton mari me gueule encore dessus ! Et puis je pourrais plus supporter de le voir t’emmerder ou te frapper. Je deviendrais folle et je le tuerais.

– Bah ! Il est pas méchant. C’est parce que tu lui réponds. La vie est difficile, tu sais. Moi, j’ai perdu ma mère à dix-huit ans. Il a fallu que je me débrouille toute seule. Toi et ta sœur, vous avez de la chance.

– De la chance pourquoi ? avez-vous demandé. Ça fait vingt-et un ans que je m’en prends plein la gueule. Ça sert à rien de vivre. Vivre pourquoi ? Pour me prendre des insultes et des coups ? Pour galérer pour l’argent et le boulot et arriver à rien d’autre qu’à une vie de merde ?

Titien, Le viol de Lucrèce

C’est là que votre petite sœur est intervenue :

– Moi, je me demande tout le temps pourquoi je suis née. Je trouve pas d’espoir à quoi me raccrocher. Quand je m’endors, le soir, je me dis toujours que ce serait bien que je me réveille pas.

– C’est parce que tu as quinze ans, lui a dit votre mère, c’est l’adolescence qui déprime. Et toi, a-t-elle ajouté en se tournant vers vous, ta vie serait plus facile avec un autre. Quitte-le, à la fin !

– Mais comment tu veux que je le quitte ? Où est-ce que j’irais ? Avec quel argent ?

– Ouais, et ben, s’il te frappe encore, moi, j’appelle la Police !

– Il me frappera plus. Il a promis.

 

Vous vous êtes levée ; vous partiez.

Il y avait tant de choses que j’aurais voulu vous dire. Des choses évidentes et banales.

Et aussi quelques remarques plus universelles.

Que depuis Ève, on ne cesse de tenir la Femme pour responsable, non seulement de ses propres malheurs mais également de ceux de l’Humanité. Et qu’il faut qu’Elle, et Elle seule, paye pour tout ça.

Que, par conséquent, les hommes se sont arrogé tous les droits – y compris celui de punir, c’est bien commode -, et ont réservé aux femmes tous les devoirs.

Qu’à force de bourrage de crâne, les femmes elles-mêmes se sont convaincues d’être coupables. Ainsi certaines aspirent au sacrifice et se complaisent dans le rôle de victime.

Lilith -John Collier – painting1892

Qu’il est temps, grand temps, de se revendiquer filles de Lilith.

Que les hommes se cognent donc les devoirs, pour changer ! Nous, nous avons le droit d’être libres de corps et d’esprit et aussi de tempérament. Non seulement nous en avons le droit, mais nous en avons la responsabilité : il faut secouer notre joug millénaire !

Et alors, la vie des femmes vaudra enfin d’être vécue.

 

Tout ça me semblait difficile à exprimer sans avoir l’air d’une donneuse de leçons ou d’une illuminée, alors, après m’être excusée d’intervenir dans une conversation que je n’avais pu faire autrement qu’entendre, je vous ai seulement dit :

– Ce ne sont pas les hommes qui manquent. Si vous le décidez, ce soir, vous pouvez en trouver un autre. Pensez-y.

– Et peut-être même un qui te frappera pas, a ajouté votre petite sœur.

 

© Copyright : Erin-Liebt

 

 

Jeux d'Ange Heureux

Premières pages de… Jeux d’Ange heureux, d’Erin Liebt

Premières pages de…

« Jeux d’Ange heureux », d’Erin Liebt

 

– Je vous le dis, moi, qu’il y a une épidémie de morts pas naturelles, dans le quartier, depuis l’arrivée de ce couple de voyous, là, en face, dit avec force Paulette Billédoux. Cette bande de jeunes qui se sont fait tuer derrière le centre commercial, je suis sûre que ce sont ces deux mécréants-là qui ont fait le coup.

Du palier du premier étage où il espionnait la conversation entre sa nounou et son père, Ange put entendre le piétinement familier de la vieille dame – une sorte de galop sur place qu’elle pratiquait pour mieux se carrer sur ses jambes variqueuses, avant d’entamer un de ces sermons dont elle était coutumière. Elle poursuivait déjà de sa voix aigre :

« C’est vous son père, et je n’ai pas l’habitude de discuter. Vous le savez, depuis bientôt douze ans que je travaille pour vous. Mais écoutez bien ce que je vais vous dire : vous allez regretter de laisser Ange fréquenter ces gens-là ! Ils l’entraîneront dans le mal.

Joël Letréaux prit la parole :

– Vous regardez trop la télé, Paulette, émit-il de son ton las habituel. Comment pouvez-vous vous imaginer que notre voisin et sa femme assassinent les loubards à grands coups de batte de base-ball ? C’est ridicule.

– Et les deux gosses qui sont morts empoisonnés, comme par hasard, le lendemain de leur arrivée dans le quartier, c’est ridicule ? haleta-t-elle. Et madame Auberger qui est morte juste après avoir eu des mots avec elle, c’est ridicule ? Et monsieur Tanguy, qu’ils ont pris son chien ? Et…

– Et allons donc ! Êtes-vous en train de suggérer que nos voisins ont jeté le mauvais œil sur tous les habitants du quartier, Paulette ?

– Je vous dis que ce sont des empoisonneurs ! souffla-t-elle ardemment. Elle travaille dans une pharmacie, elle peut avoir tous les poisons qu’elle veut !

– Mmmh… Écoutez, je suis déjà en retard. Croyez-moi, la police se serait déjà émue, s’il y avait eu quoi que ce soit de louche dans tous ces décès. Il y a tous les jours des gens qui meurent.

Ange entendit son père soupirer, puis la porte d’entrée claquer. Il était parti sans un mot de plus.

C’était sa réaction habituelle, dès qu’il pensait à la mort de sa femme.

Elle était morte douze ans plus tôt, deux jours après la naissance d’Ange. Des suites de l’accouchement. Joël ne s’en était jamais remis. C’est alors qu’il avait embauché Paulette Billédoux, pour s’occuper du bébé.

L’oreille toujours aux aguets, Ange entendit Paulette murmurer pour elle-même :

– Je le sais bien, moi, que ce sont des malfaisants ! Des loups cruels lâchés au milieu du troupeau.

© Copyright : Erin-Liebt

Roman disponible en téléchargement gratuit ici : LIEN

Jérôme Bosch, "Le Jardin des Délices, l'Humanité", panneau central, détail.

Ce désir-là

Le désir…

C’est du désir par excellence dont je parle ici, le seul, le vrai, ce désir-là.

Oh ! Il n’est pas question de la banale concupiscence, qui n’est qu’un fugace intérêt pour tout ce qui pourrait se constituer partenaire sexuel. Je ne m’étendrai pas non plus sur l’appétit : cette sensation de congestion des organes génitaux, souvent provoquée par une présence ou un spectacle sexy mais qui peut aussi être spontanée, et laisse frais, satisfait et l’esprit libre, une fois l’orgasme atteint – peut-être vaudrait-il mieux dire SI l’orgasme est atteint.

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François Boucher Hercule et Omphale

François Boucher, « Hercule et Omphale »

Ce désir-là, c’est cette déferlante de passion qui annihile tout sur son passage et prend littéralement et entièrement possession de vous.

Ce désir-là, celui du coup de foudre partagé, celui de l’alchimie entre deux êtres, qui vous change en machine sexuelle, en vampire assoiffé qui se consumerait et partirait pour de bon en fumée brûlante, sans sa dose pluriquotidienne de sperme ou de cyprine.

Ce désir-là, qui transmue toute la surface de la peau en capteur de plaisir – le moindre effleurement rend fou – comme si les corpuscules de krause avaient colonisé l’ensemble de votre épiderme. Pour mémoire, cette appellation glamour, « corpuscules de Krause », désigne les récepteurs sensoriels de la volupté qui tapissent le gland et le clitoris.

Ce désir-là, donc, qui vous métamorphose en dément et en drogué.

Drogué à l’autre et à son odeur et à son contact et à sa peau et à son sexe.

Drogué aux sensations que l’autre éveille en vous et que vous éveillez en lui.

Drogué à ce désir, asservissant et libérateur à la fois.

Libérateur, parce que ce désir-là prend possession de vous et fait le grand ménage dans votre tête. Il balaye toutes autres préoccupations et vous envahit littéralement. Il vous remplit et ne laisse aucune place pour le reste.

L’euphorisant par excellence, qui vous donne le sentiment de vivre pour la première fois de votre vie, qui vous fait léviter et accroche un sourire permanent, extatique et bête sur votre visage.

Le seul anti-dépresseur qui marche vraiment, parce qu’il vous débarrasse de ce qui vous rend la vie si difficile à supporter : VOUS.

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Oui, vous.

Tous nous sommes déchirés en permanence entre ce que nous sommes et ce que nous voudrions être – l’insupportable décalage entre notre réalité et nos aspirations, autant dire entre le matériel et l’immatériel, entre le corps et l’âme, bref, l’insoutenable dualité de notre être.

Ce désir-là règle le problème : il vous ravit corps et âme dans la volupté. Oui, « ravit », c’est à la fois de ravissement et de rapt, qu’il est question ici : c’est une assomption, au sens religieux du terme. L’extase vous projette direct au septième ciel, c’est à dire, si l’on en croit les astronomes du monde antique, en orbite avec les sept astres visibles à l’œil nu – comprenez parmi les dieux. Vous voilà élevé à la divinité, telle la Psyché mythique.

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Car c’est cela que raconte ce mythe – ce n’est pas pour rien que les psys préfèrent le mot de « psyché », plutôt que celui d’« âme », un peu trop religieusement connoté.

Louis Lagrenée,

Louis Lagrenée, « Amor et Psyché »

Psyché est fille de roi – bien humaine, donc, mais de l’élite. Lisez haut placée, élevée quoi, comme l’âme, en quelque sorte. Elle est très belle et Cupidon tombe amoureux d’elle et elle de lui. Cupidon, le Dieu de l’amour, Éros en grec, c’est à dire l’amour physique, le désir charnel personnifié – ou plutôt déifié. Je vous épargne les détails de leur drame et de leur séparation, sachez seulement que, pendant ce laps de temps, Psyché traverse moult épreuves, souffre énormément, et qu’en plus elle se trouve moche. Tout cela la rend fort suicidaire. Enfin, elle meurt, en cherchant à devenir plus belle – c’est peut-être la première victime de ces fameux diktats de la beauté idéale. Alors, Cupidon la ressuscite, la fait déesse et l’emmène vivre avec lui pour l’éternité sur le Mont Olympe. De leur union naît une fille qui porte le beau nom de Volupté.

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Ce que vous me permettrez de résumer ainsi : la volupté fusionne l’âme et le corps désirant en un seul être divin. Rien que ça !

D’aucuns – imprégnés à n’en pas douter de mortifiante autant que mortifère pensée judéo-chrétienne – estiment pour leur part que ce mythe allégorise l’union de l’âme humaine et de l’amour divin, après la mort. Ils se mettent le doigt dans l’œil, bien sûr : rien de plus vivant et charnel qu’Éros !

Bref, ce désir-là vous change en profondeur. C’est une transmutation qui s’opère. Il consume tout sur son passage – vaines préoccupations ou idées noires – et vous vaporise au septième ciel.

Il fait de vous un autre être. Un être illuminé par le désir et le plaisir.

Hermaphrodite d'une fresque d'Herculanum

Hermaphrodite d’une fresque d’Herculanum

Un être double, mâle et femelle à la fois, qui se fond avec l’objet de son désir dans la volupté. Un seul corps, une seule âme unis dans l’orgasme. L’autre, c’est vous et vous, c’est l‘autre. Vous rayonnez, des étincelles dorées s’échappent de vos doigts et de vos cheveux, votre peau irradie, vous jouissez, vous êtes Dieu – qui est androgyne, comme chacun sait.

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C’est la plénitude.

Tout du moins, tant qu’il dure, ce désir-là.

Il paraît que l’afflux d’hormones qu’engendre le désir dure trois ans, grand max. Trois ans, dans le meilleur des cas. Trois ans pour ce désir-là.

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Savez-vous pourquoi le désir sexuel n’est pas permanent ? Parce que c’est une forme d’aliénation qui prive les animaux de l’instinct de leur propre conservation pour privilégier la préservation de l’espèce – oui, l’Homme est un animal, n’en déplaise à certains ; un mammifère, pour être précis, et même un primate, bien que l’on puisse se demander si les ancêtres de certains n’auraient pas fauté avec le genre ovin.

C’est ainsi : pendant la période des amours, tous les animaux ne pensent qu’à trouver un partenaire sexuel et y consacrent tout leur temps et toute leur énergie, oubliant totalement leur occupation principale : la recherche de la nourriture. Obnubilés, ils sortent des limites de leur territoire, se rendent encore plus visibles par l’exécution d’une vantarde parade nuptiale et/ou par de bruyants et sanglants combats avec leurs rivaux, et s’exposent ainsi sans défense aux crocs du premier prédateur venu. Quand ce n’est pas à ceux du partenaire sexuel lui-même – voyez donc le sort de Monsieur Mante-Religieuse.

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Pour notre espèce, de nos jours, ce sont surtout les femmes qui prennent des risques, tant les religions machistes ont rabaissé et avili la Femme, la privant de sa place dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’espace public et qui n’est rien d’autre que le monde, pour mieux protéger l’homme qui, après tout, est à l’image de Dieu, lui – bien qu’il ait été mutilé dès après sa création par son créateur en personne.

Toulouse Lautrec,

Toulouse Lautrec, « Deux femmes mi-nues vues de derrière dans la rue des Moulins »

C’est ainsi : motivées par la libido – Freud désigne par ce mot l’instinct de reproduction de l’espèce -, les femmes sortent de leur prison millénaire – on appelle ça un appartement, un logement, un étui, quoi ! – et se baladent seules, habillées court et sexy, souvent même la nuit, à la réprobation générale, pour tenter de séduire un partenaire sexuel – comprenez un potentiel mâle reproducteur -, dans un pub quelconque.

Rendues bien visibles, elle se mettent donc en danger, et s’exposent à attraper dans le meilleur des cas un rhume, dans le pire un viol. (Je vous entends penser d’avance, alors je précise : un violeur ne peut EN AUCUN CAS être considéré comme un partenaire sexuel, non plus que comme un géniteur enviable pour la génération de l’espèce ; c’est un prédateur comme tant d’autres.) Et le pire de la chose, c’est que même leurs meilleures copines, qui pourtant vivent de la même façon et sont habitées des mêmes instincts immémoriaux, leur diront d’un air de reproche exaspéré : « Mais aussi, pourquoi tu te ballades seule, la nuit, habillée en pute ?! »

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Il faut quand même noter que la situation de l’être humain, dans nos contrées civilisées, est très différente de celle des autres animaux : il n’a pas d’autre prédateur que lui-même. Les risques de se faire dévorer par un fauve à la sortie d’un pub sont quand même minimes. Le loup qui, paraît-il, infeste le Mercantour, ne s’intéresse plus du tout aux petites filles, fussent-elles chapeautées de rouge. Il leur préfère de loin les chèvres et les brebis, au grand désespoir des éleveurs – et devant les fades préoccupations de certaines fillettes de ma connaissance, je ne suis pas loin de penser comme lui.

J’en reviens à mon sujet et à l’Homme qui est – c’est connu depuis l’Antiquité – un loup pour l’Homme. Si chacun était en permanence possédé par un désir dévorant, les prédateurs humains – sans jeu de mots et c’est dommage, car il est plutôt insolite d’avoir à la fois une redondance et un oxymore ! -, les prédateurs humains, disais-je, eux-même mordus, seraient occupés à baiser – leur fringale de sang oubliée, leur appétit de sexe sur-aiguisé. Des loups transformés en lapins !

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Mais, dans les faits, pour notre espèce, il n’est pas très fréquent, ce désir-là, ce désir aliénant. Combien de fois l’avez-vous connu ? Une fois, le plus souvent ; rarement plus de trois fois. (Je tiens cette estimation d’une enquête que j’ai personnellement menée auprès de mon entourage.)

Peut-être est-ce dû à notre bipédie : si l’on en croit les paléontologues, le passage à la position debout aurait modifié l’œstrus et privé les femmes de ces honteuses manifestations des chaleurs qui surchargent les autres femelles d’hormones et de phéromones à chaque ovulation et aimantent les mâles.

Cela m’amène à penser que notre désir d’êtres humains est bien piètre, comparé à celui que ressentent les animaux et que ce désir-là, quand il nous prend, est une réminiscence du rut atavique.

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Jean-Honoré Fragonard,

Jean-Honoré Fragonard, « Le feu aux poudres »

Réminiscence ou pas, ce désir-là est rare et précieux. Il s’agit évidemment d’une réaction chimique entre deux êtres éminemment compatibles physiquement. N’importe qui ne vous le déclenche pas, malheureusement.

Ou heureusement, peut-être.

Là, je fais un effort d’objectivité – j’espère que vous apprécierez cette ouverture vers le consensus et ce qu’on appelle le sens commun, en oubliant que commun, cela veut aussi dire vulgaire.

Il est évident que, dans notre civilisation, laisser tomber toutes préoccupations d’ordre matériel pour baiser comme des bêtes trois ans d’affilée, c’est inconcevable – on pourrait même qualifier cela de suicidaire. C’est foutre vie et carrière en l’air – des choses que l’on ne bâtit pas aisément, surtout de nos jours, et qui sont absolument impossibles à reconstruire une fois qu’on a plongé dans la marginalité – s’isoler à deux et renoncer à toutes activités non sexuelles, s’en est, de la marginalité, sans le moindre doute !

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On a beau tenir pour acquise la libération sexuelle et parler dorénavant de l’hypersexualisation de notre société, l’activité charnelle en tant que telle, même dans les cas où le commun (le vulgaire?) ne l’assimile pas au diable et au péché, voire même à l’anormalité – si si, il y en a qui pensent ça : j’en connais – reste quelque chose qui ne doit pas être exposée aux regards : cela fait partie de la sphère de l’intime. On considère généralement que c’est une chose sans importance (!) – ce n’est pas sans raisons qu’on appelle ça « la bagatelle » : ça ne fait pas partie des priorités.

Nota bene : la priorité des priorités, c’est de gagner de l’argent, d’être heureux de payer des impôts et de se mettre plein de crédits sur le dos ; c’est ce qu’on appelle être bien intégré à la société.

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Imaginez un peu ce que serait notre monde, si ce désir-là durait toute la vie !

Ah ! évidemment, dans un tel cas – réprouvé par la morale, les institutions et le sens commun -, plus de société de consommation. Plus de société, tout court, d’ailleurs : personne ne ferait d’études, ni n’irait travailler, ni ne produirait quoi que ce soit – pas plus de nourriture que de littérature et encore moins de billet d’humeur comme icelui, que de toutes façons personne ne lirait !

Nous vivrions dans des grottes et brouterions de l’herbe.

Nombreux sont ceux qui considéreraient ça comme le pire des cauchemar.

Jérôme Bosch,

Jérôme Bosch, « Le Jardin des Délices, l’Humanité », panneau central, détail.

Il en est d’autres, dont j’ai bien peur d’être – en dépit ou à cause de mon pédantisme de pseudo-intellectuelle infatuée – qui, rebutés par la tradition stérilisante de la pensée cartésienne et pollués par le Romantisme – rien à voir avec les comédies du genre Bridget Jones ; je parle du mouvement artistique et culturel du XIXème siècle -, sont d’incurables nostalgiques de cet Âge d’Or glorieux, chanté par les mythes grecs, où les Hommes, en harmonie avec les animaux gentils, évoluaient nus dans la nature qui les nourrissait abondamment et bénévolement de ses fruits les plus doux, alors qu’ils ne faisaient que copuler et jouer de la flûte de Pan.

Je crois que je vais m’inscrire au prochain Rainbow Gathering.

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En conclusion, quoi ? En conclusion, c’est peut-être la rareté de ce désir-là qui a permis à l’Homme de sortir de l’animalité et lui a laissé l’esprit libre – vacant ? – pour inventer des choses aussi indispensables que le nucléaire et le téléphone portable.

La pomme – la fameuse pomme d’Eve, celle qui est restée en travers de la gorge d’Adam – devait être farcie de bromure. Notre espèce a été chassée du paradis, c’est à dire de l’insouciance de animalité, c’est à dire du cycle euphorisant du rut, c’est à dire du sentiment de la plénitude.

Et par conséquent, seuls dans nos pompes voire même à côté, nous développons d’absurdes stratégies de compensation.

Laissez-moi donc rêver de l’Âge d’Or.

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© Copyright – Erin-Liebt.com – 2017

Le Possédé

Extrait du roman d’Erin Liebt, Le Corbillard Rose

Stella se rallia à l’opinion de Josefa : il fallait que ce chien soit possédé par le Démon ! Sinon, comment expliquer son omniscience, son intelligence proprement diabolique et son acharnement à faire le mal ? Fervente catholique, la brave cuisinière n’en dormait plus, terrifiée à l’idée de vivre dans la même maison que Satan, de le côtoyer chaque jour que Dieu faisait.
Elle s’ouvrit de ses craintes au père Casanova, curé de l’église Notre Dame du Port. Le bon père était d’origine italienne, très pieux, et bien mal nommé – jamais ce parangon de vertu n’aurait même songé à séduire l’une de ses paroissiennes. Y eut-il songé, qu’il est peu probable qu’il y soit parvenu, son Dieu l’ayant, par une cruelle ironie, affligé d’un physique fort éloigné des canons de l’humaine beauté.

Thomas Theodor Heine : "Simplicissimus" 1897

Thomas Theodor Heine : « Simplicissimus » 1897

Son âme, en revanche, dépassait en grandeur et en splendeur tout ce que l’on peut imaginer : bonté, compassion, indulgence, tolérance, générosité, amour de son prochain, piété… Bref, le père Casanova : un saint homme.
Au récit des agissements de Chichi, le bon père resta sceptique. Se pouvait-il que cette brave Stella se soit mise à boire, en cachette, le pastis avec lequel elle flambait ses gambas d’ordinaire ? Il avait bien entendu parler de serpents, de cochons, de boucs possédés, et même de chats, mais de chiens… mis à part le chien des Baskerville de la série des Sherlock Holmes, bien éloigné d’un loulou de Poméranie, non, il ne voyait pas.

Aussi, décida-t-il d’aller constater en personne ce curieux phénomène de chien satanique et de procéder, le cas échéant, à un exorcisme. Si le chien n’était pas possédé, se disait l’excellent ecclésiastique, il pourrait toujours exorciser Stella du démon de l’alcool.
Il fut décidé que le père Casanova viendrait chez les Duval-Bolduc, armé de sa croix pectorale, de sa bible et d’un bon flacon d’eau bénite, le lendemain à quinze heures précises, Mme Duval-Bolduc ayant rendez-vous au même moment chez sa couturière pour un essayage-fini. Elle aurait été indignée d’apprendre que Stella soupçonnait son « bébé-d’amour » d’être le Malin incarné, il fallait donc profiter de son absence. Stella se chargerait d’éloigner la nouvelle bonne à tout faire.

Si toutefois Madame rentrait avant le départ du prêtre, il fut entendu que celui-ci prétendrait – pieux mensonge – qu’il était venu pour s’entretenir avec sa chère paroissienne, dame patronnesse d’élection s’il en fut, Mme Duval-Bolduc, donc, de la prochaine vente de charité au profit des pères missionnaires qui évangélisaient la Chine.

À quinze heures tintantes au clocher de son église, le père Casanova sonnait chez les Duval-Bolduc. Stella se hâta vers la porte d’entrée pour ouvrir tandis que, simultanément, Chichi fonçait vers le fond de l’appartement, dans ce qui semblait être un mouvement de fuite devant l’homme de Dieu.

La cuisinière et le chien se croisèrent au milieu du corridor. Stella s’était prudemment collée au mur pour laisser passer ce démon de Chichi – qu’elle craignait désormais plus que tout.

Cela ne fut pas suffisant, le chien, au passage, lui décocha un cruel coup de crocs dans le mollet droit. C’est en boitant que Stella acheva son chemin vers la porte.

Thomas Theodor Heine : "Upper Silesia" 1921

Thomas Theodor Heine : « Upper Silesia » 1921

– Sacré coup de dents, ma fille, lui dit le père Casanova en examinant la blessure. Je vais vous aider à désinfecter cette morsure, avant toute chose.

– Inutile, Padre, décréta Stella, pressée d’en finir, contentez-vous d’asperger la plaie avec de l’eau bénite.

Le brave homme de prêtre opina, il avait dans sa poche la panacée universelle. Confiant en la puissance de l’eau bénite, il en oignit dévotement la jambe blessée.
Ils trouvèrent Chichi à l’extrémité opposée de l’appartement, caché derrière une bergère, dans le boudoir de Madame. La cuisinière ferma la porte, pour lui couper toute retraite, pendant que le prêtre brandissait la croix qui ornait sa poitrine, en disant :

– Au nom de Jésus Christ notre Sauveur, Satan quitte le chien Chichi !

Et au fur et à mesure qu’il avançait, le chien reculait, en grondant d’une façon menaçante, sans quitter des yeux la croix d’argent. Le prêtre, sans se démonter – un si petit chien, même possédé, ne devait pas être bien dangereux -, continua à avancer jusqu’à ce que Chichi, de plus en plus agité, se trouva acculé dans un angle.

Soudain, l’attention du prêtre fut attirée par une sorte de halètement étouffé. Il regarda Stella et fut interloqué par l’expression de terreur répandue sur le visage de la cuisinière.

Elle fixait quelque chose derrière lui.

Le prêtre fit volte-face, et que vit-il dans l’encadrement de la fenêtre ouverte ?

Un énorme goéland qui le dévisageait en faisant claquer son bec d’un air menaçant, perché sur le garde-fou. Il dépliait à moitié les ailes pour se rendre encore plus impressionnant. Un monstre, d’au moins un mètre quatre-vingt d’envergure, au regard inhumain de tueur.

Délivré de l’attention du prêtre et de la cuisinière, Chichi se précipita au milieu de la pièce.

D’un coup d’aile, l’énorme oiseau fut sur le petit chien et, le saisissant par la peau du cou, il s’envola.

Un hurlement terrifié, vite suivi par des sanglots hystériques, retentit :

– Chichiiiiiiiii…

Le prêtre, tenant encore sa croix à la main, tourna la tête à temps pour pouvoir se précipiter vers Mme Duval-Bolduc qui, prise de convulsions, s’affaissait sur le sol. Elle était entrée juste au moment de l’enlèvement de son « bébé-d’amour ».

Thomas Theodor Heine : "The Law On Protection Of Minors Ggainst Filth And Dirt" 1926

Thomas Theodor Heine : « The Law On Protection Of Minors Ggainst Filth And Dirt » 1926

Stella, pour sa part, ne prit pas la peine de chercher l’origine de ces hurlements, elle se dirigea vers la croisée pour suivre du regard le vol du kidnappeur, jusqu’à ce qu’il disparaisse à sa vue.
La morsure sur le mollet de Stella s’envenima – sous l’effet du coup de dent satanique ou de l’eau bénite, on ne sait -, il s’en fallut de peu que l’on doive l’amputer. Mais, que ce soit grâce aux efforts désespérés du docteur Fuch, excellent praticien, ou à l’exorcisme que pratiqua le père Casanova sur la jambe infectée, Stella finit par se rétablir.

Mme Duval-Bolduc, en revanche, ne se remit jamais tout à fait de la disparition de Chichi ; elle prit le grand deuil, pour ne plus jamais le quitter. À la satisfaction générale, elle refusa d’adopter un autre chien.

– Comment pourrais-je remplacer mon bébé-d’amour ? se lamentait-elle. Un chien si affectueux, si intelligent : il comprenait tout. Il ne lui manquait que la parole.

– Et quel Malin ! avait prit l’habitude d’ajouter Stella, sans toujours pouvoir, toutefois, retenir un sourire sardonique.

© Copyright : Erin-Liebt

Roman disponible en téléchargement gratuit ici :

 

Que la nature se rebelle !

 Nils Blommér : "Ängsälvor" 1850

Nils Blommér : « Ängsälvor » 1850

Qui a ouï les rires argentins des fées et s’est vu entraîné dans leurs farandoles, du crépuscule à l’aube ? Qui s’est émerveillé devant le ballet scintillant des ondins et des ondines célébrant l’aurore ? Qui a croisé le regard d’une naïade ou d’une belle dame, à travers l’eau verte d’un lac ou l’onde pure d’un ruisseau ? Qui a surpris, à l’orée d’un bois, la pavane des sylvains et des dryades émergeant de l’écorce, à la brumeuse brune ? Qui a rencontré, au détour d’un rocher, une chimérique créature – cheval ailé, chèvre-pied barbu et fermement membré ou blondine pneumatique à queue de poisson ?

Personne.

Ou bien, c’était sous l’emprise de substances illicites.

Qui a entendu, nuitamment, en passant à travers champs, le tap-tap-tap du marteau du korrigan cordonnier ?

Personne.

Bien sûr, personne ne se ballade en pleine campagne, la nuit. À la rigueur, on la traverse à toute allure en voiture. Impossible alors de discerner ce fameux tap-tap-tap. C’est regrettable, car si vous l’aidez à faire son travail, le korrigan vous offrira un chaudron rempli de pièces d’or. Tout du moins, si vous êtes plus malin que lui, car il essayera de vous faire travailler gratis. C’est un roublard, le korrigan cordonnier.

Moritz von Schwind : "Erlkoenig"

Moritz von Schwind : « Erlkoenig »

Qui a ne serait-ce qu’entraperçu un follet ? Qui a été interpellé par une dame blanche – sans décolleté plongeant et cuissardes, veux-je dire –, un soir, à la croisée des chemins ? Quel noctambule s’est rencontré sur une route sombre et déserte avec une tête livide privée de corps ou un animal blanc – un chien, un mouton, un bouc, un taureau, un cheval, une oie… – qui lui a joué un tour narquois ou, d’humeur lugubre, a tenté de l’attirer dans le marais le plus proche afin de le noyer?

Personne.

Il n’y a plus de routes sombres : les réverbères gâchent inutilement l’électricité sur tout le territoire, et la lumière chasse les spectres. Enfin, en l’occurrence, ce gâchis d’électricité sauve des vies car, quand le follet est de mauvais poil, il faut savoir les mots et les gestes qui l’apaisent, pour ne pas finir au fond d’un marécage et pouvoir se vanter de cette rencontre pour le restant de ses jours. Et qui les connaît encore, les mots et les gestes ? Surtout qu’ils diffèrent en fonction de l’origine et de l’obédience de votre follet.

Non, il n’y a plus de routes sombres. Plus de follets, plus de korrigans, plus d’esprits élémentaires, bref, plus d’obscurantisme.

Plus de merveilleux non plus.

Ce ne sont plus les fées qui brûlent des cercles de gazon en dansant au clair de lune leurs rondes enflammées, mais de vulgaires colonies de sporophores – lisez champignons. Ce ne sont plus les sorcières qui affolent les vaches françaises ou anglaises, mais les farines animales – on regrette les sorcières, bien moins néfastes. L’orage n’est plus la manifestation de colère d’un être surnaturel, c’est la rencontre de masses d’air chaudes et froides.

Niés par nos cerveaux cartésiens, ridiculisés et insultés par les jeux vidéos et les dessins animés, chassés par l’envahissement urbain, les esprits agrestes et malicieux se sont réfugiés dans les recoins de ce monde, au fond des combes secrètes et des grottes oubliées. Ils nous ont laissés seuls avec nos démons contemporains : hyper-technologie, urbanisation et Roundup.

Luis Ricardo Falero : "Lily Fairy" 1888

Luis Ricardo Falero : « Lily Fairy » 1888

C’est la nature qui génère ses propres génies, issus des beautés des brumes et des eaux, des bois et des flammes. Quel être fabuleux pourrait être enfanté par nos cités ? Quelle poésie trouver dans le béton, la saleté, la promiscuité, la misère partout visible et la puanteur des pots d’échappement ?

Le merveilleux, le malicieux et le terrifique ne font plus partie de nos vies.

La peur, si.

Mais ce n’est plus cette terreur délicieuse de qui risque de rencontrer une créature fantastique au détour d’un chemin obscur et d’être confronté à des épreuves qu’il faudra surmonter pour obtenir la vie sauve ou une récompense – ou bien l’estime de ses voisins. C’est de la vraie peur qui étreint le cœur des citadins, celle de rencontrer des vivants malintentionnés. L’être humain ne redoute que ses semblables. Et la lumière des réverbères ne peut rien contre eux.

C’est peut-être à cause de la réalité de cette peur qui nous étreint que, malgré l’empreinte du rationalisme des Lumières, malgré toute la technologie qui nous environne, malgré la publicité qui se niche partout et nous assène que, ce qu’il nous faut pour être heureux, c’est un nouvel iPhone ou une plus grosse voiture, nous aspirons au merveilleux, bien que nous ne puissions plus y croire – la preuve : le succès intergénérationnel du Seigneur des Anneaux et d’Harry Potter !

C’est ainsi que les avancées scientifiques et de la laideur de nos villes ont conçu UN être surnaturel : c’est l’extraterrestre.

Oui, il n’y en a qu’un : la science est bien moins prolifique que la nature – elle manque d’ailleurs tellement d’imagination qu’elle est obligée d’aller chercher dans les films et les romans ce qu’elle va inventer de neuf. Le problème, c’est que les œuvres de science-fiction sont souvent des dystopies, et que les projets scientifiques s’inspirent plus de 1984 ou d’Avatar que des Bisounours. Du coup, ça fait plus trembler que rêver.

Donc, l’extraterrestre.

Wilfredo Lam : "Zambezia"

Wilfredo Lam : « Zambezia »

Enfin, quand je parle d’extraterrestre, je parle d’E.T., bien sûr ! Le nôtre à nous, l’extraterrestre terrien que l’on rencontre à Roswell ou qui vous kidnappe avec votre voiture sur les routes de campagne noires et solitaires.

Bien sûr, il est gris et laid – comment en serait-il autrement, étant engendré par notre environnement ? -, mais il a les caractéristiques de nos lutins : il est petit, il est difficile à trouver quand on le cherche – d’ailleurs, c’est généralement lui qui vous trouve quand vous ne vous y attendez pas -, il a des pouvoirs surhumains, il peut être bénéfique ou maléfique. Quand il enlève les gens, ils en réchappent généralement pour témoigner – de même que les victimes des lutins.

Il ne lui manque que d’avoir un bonnet rouge.

On se demande bien pourquoi, avec toute sa supériorité technologique sur nous, il prend la peine de se cacher.

Oh ! Personne n’admet y croire, sauf quelques illuminés qui se vantent de l’avoir rencontré dans des émissions télé pour décérébrés. Pourtant, le principe de l’existence de l’extra-terrestre est admis par tous, y compris par les scientifiques : la vie existe forcément ailleurs dans l’Univers. On la recherche activement sur d’autres planètes.

On nous promet d’ailleurs que l’avenir sera la découverte de nouveaux mondes aux ressources naturelles mirifiques. Ça sonne un peu comme la découverte de l’Amérique, n’est-ce pas ? N’apprendrons-nous jamais rien ? Ne sommes-nous donc capables que de ça ? Épuiser l’endroit où nous vivons et puis en chercher un autre à épuiser de même, et encore un autre et encore un autre. Sommes-nous des sauterelles géantes ? Aussi féroces et aussi bêtes ?

Pourtant, ces nouveaux mondes font quand même rêver. Maintenant que nous avons détruit notre qualité de vie et nos paysages – hyper-technologie, urbanisation et Roundup –, à quoi peut-on encore aspirer ? À quitter cette foutue planète !

La Terre nous semble désormais inhospitalière au point qu’il y a des cinglés qui sont volontaires pour aller coloniser Mars ! Si l’on considère qu’il n’y a là-bas ni atmosphère respirable ni eau liquide, on doit donc supposer que c’est la peur de l’être humain et de ce qu’il engendre – hyper-technologie, urbanisation et Roundup – qui rend la Terre inhabitable, pour de plus en plus de… gens – appelez-les comme vous voudrez : dépressifs, pessimistes, asociaux, malades, sensitifs, réalistes, visionnaires…

Sauf que… la seule planète que nous ayons les compétences d’habiter actuellement, c’est la nôtre. C’est pourtant la seule qui ne nous intéresse pas : nous connaissons mieux la Lune et Mars que le fond de nos grottes et de nos océans.

C’est parce que la nature nous indiffère. La beauté et la poésie, ce sont des choses qui ne rapportent pas d’argent. Les matières premières et la technologie, oui. Voilà pourquoi nous nous acharnons à réaliser des dystopies forcément destructrices, plutôt que de chercher à préserver ce qu’il reste de beau sur notre planète.

Oui, il y a de bonnes raisons d’avoir peur de l’être humain.

Marc Franz : "Formes de Combats"

Marc Franz : « Formes de Combats »

Que la nature se rebelle, que les herbes envahissent le macadam, les arbres les trottoirs et les lianes les immeubles ! Que les fées émergent des combes oubliées des vivants ! Que les lutins et les korrigans jaillissent de leurs grottes ! Que les sorcières maléficient les réverbères ! Que les dragons atomisent les centrales nucléaires et nidifient parmi leurs décombres ! Sylphes, ondines, dryades, génies des airs, des eaux et des bois, sortez de votre long sommeil. Le pouvoir aux êtres fantasmagoriques et aux poètes. Forêts, dressez-vous ! Flots, révoltez-vous ! Vents, emportez-vous ! Feux du ciel et de la terre, déchaînez-vous ! Ô créatures élémentaires, délivrez-nous de la laideur et des iPhones ! Ô démons, feux follets, esprits cornus, poilus et barbichus, outrageusement couillus et membrus, prenez possession de nous !

Nous avons besoins de vous pour être… humains.

Dieu est mort, les Élus sont pourris, vive E.T. !

Dieu est mort, les Élus sont pourris, vive E.T. !

ou

De la peur d’être libre

 

Bourdon Sébastien : "Le Buisson Ardent"

Bourdon Sébastien : « Le Buisson Ardent »

On pourrait se croire revenus aux temps des miracles bibliques : les aveugles qui voient, grâce à des capteurs bioniques ; les sourds qui entendent, par le même biais ; les morts qui ressuscitent, sous les impulsions électriques des défibrillateurs ; les femmes qui enfantent des bébés-éprouvettes et ce même au troisième âge et, de toutes façons, sans rapport sexuel ; les voix et les images qui voyagent à travers l’éther, encore plus fort que Dieu s’adressant à Abraham ou à Moïse !

Tant de miracles devraient emplir l’Humanité d’espoir et de joie et pourtant le sentiment qui semble dominer, c’est la terreur – sauf chez quelques scientifiques coupés du réel qui trouvent notre époque formidable. Il faut dire qu’il y a de quoi se méfier, car les miracles dont l’Homme est responsable s’inspirent explicitement de ceux de la Bible : ils prennent majoritairement le visage de la violence. Car la Bible – quoi que votre grand-mère ou votre curé vous en ait dit -, n’est pas un bouquin rassurant – Dieu est amour et tout et tout – ; c’est un conte terrifique.

Eh bien oui ! Les guérisons et les bénédictions du genre de l’apparition de la manne céleste ou de la multiplication des pains, ça ne concerne qu’une poignée d’Élus. Du début à la fin, on vous explique que vous avez intérêt à avoir choisi le bon Dieu, et à vivre de la façon qu’Il vous dit, si vous voulez faire partie de ceux qui seront sauvés. Et des fois, ça ne suffit même pas – demandez donc à Job ! Parce que la Bible, ça raconte surtout des histoires de punitions terribles, sans parler des destructions massives – pensez à Sodome et à Gomorrhe. Dieu, voyez-vous, il est du genre père fouettard : qui aime bien châtie bien, etc… bref, l’éducation telle qu’on la prônait avant mai 68 – à grands coups de tatane dans la gueule : « Vas-y pleure, tu pisseras moins. »

John Martin : "La destruction de Sodome et Gomorrhe 1832"

John Martin : « La destruction de Sodome et Gomorrhe » 1832

L’horreur biblique, on est en plein dedans : on a maintenant les moyens techniques de déclencher l’Apocalypse, et on le fait. On peut détruire des populations entières en lançant sur elles d’épouvantables épidémies, et on le fait. On peut détruire des villes par une pluie de feu, et on le fait. Par l’eau aussi – on a submergé déjà pas mal de bleds, pour cause de barrage hydroélectrique. Le déluge, c’est pour bientôt – on nous prévoit une bonne montée des eaux dans les années qui viennent – ; c’est vrai que, dans ce cas précis, c’est pas fait exprès. Faut croire que l’eau obéit moins bien que le feu et les virus.

Les temps bibliques, je vous dis  ! Rien n’y manque, pas même les prophètes et les martyrs. Ah si, pardon ! II y manque bien quelque-chose : Dieu.

Eh, oui ! Les miracles et l’Apocalypse, c’est l’Homme qui s’en charge.

L’Homme est devenu Dieu.

Non, pardon ! Ça manque quand même de précision : ça sous-entendrait que chaque individu de notre espèce génère des miracles et, bien sûr, ce n’est pas le cas.

Disons donc : l’Homme civilisé est devenu Dieu.

Tss ! Tss ! Encore trop imprécis.

Les élites des pays civilisés sont devenues Dieu.

Voiiiilàààààà qui est plus proche de la réalité ! Les puissants de ce monde ont pris la place de Dieu.

Lorenzo Veneziano : "Le Christ sauvant l'apôtre Pierre de la noyade" 1370

Lorenzo Veneziano : « Le Christ sauvant l’apôtre Pierre de la noyade » 1370

En fait, il y a un moment qu’il est techniquement dépassé, le Dieu de la Bible : les manipulations génétiques, le clonage et les greffes, il n’en est question ni dans l’un ni dans l’autre de ses Testaments. C’est d’accord, Jésus marchait sur les eaux sans paddle, mais il n’a jamais volé dans les airs, ou alors seulement pour l’Ascension – mais ça ressemblait plutôt à une sorte de téléportation et on nous la promet pour bientôt. Et en tout cas, bien que réputé porteur de lumière, il n’a jamais voyagé à sa vitesse. Il n’a jamais visité la Lune ou Mars, ni envoyé des sondes explorer l’espace intersidéral – le Royaume des Cieux qu’il nous fait miroiter est dans les nuages et pas plus haut.

Exit Dieu ; place aux élites. C’est la science qui leur a donné le pouvoir. Pouvoir de vie et de mort : défibrillateurs et bébés-éprouvettes, bombes sales et arme nucléaire. Leurs satellites ont pris la place physique de Dieu, au-dessus des nuages, et poubellisent l’espace dans un seul but : le pouvoir. Pouvoir militaire, intimidation et espionnage des pays voisins, et pouvoir global sur l’esprit du peuple. Satellites qui diffusent paroles et images afin que, partout, on pense ce que l’on doit penser. Pensée unique. Castration idéologique. Lobotomie générale. Le bonheur est dans la dépendance et le supermarché.

Ce n’est plus l’œil de Dieu qui est sur nous : Google, NSA, vidéo-surveillance, écoutes téléphoniques, cartes à puce et satellites espions s’en occupent bien mieux.

Ah, bien sûr, cela ne s’est pas fait en un jour : il a fallu, pour que l’Homme devienne Dieu puis le dépasse, qu’il atteigne un certain niveau de connaissances scientifiques. Mais, maintenant qu’on a exploré la Lune, on le sait – on a bien regardé : il n’y a pas de vieux barbu siégeant sur un trône de nuages. Pas non plus de nains ailés asexués. La création de l’Univers est expliquée et l’Homme est un singe comme les autres.

William Blake : "L'Ancien des jours"

William Blake : « L’Ancien des jours »

Il était temps ! Il a fait bien assez de dégâts ce barbu-là ! Enfin, ces trois barbus-là – n’oublions pas que les dieux des trois monothéismes ne font qu’un – il n’y a que les prophètes qui changent. On peut même remonter encore plus loin : ils en ont fait des dégâts tous ces dieux barbus du polythéisme – la barbe, symbole universel de force et de pouvoir – qui ont pris l’ascendant sur la Déesse-Mère du Néolithique, depuis Enlil et Osiris, en passant par Ahura Mazdâ et Zeus, et dont la mue périodique nous a donné les trois dieux du monothéisme.

Nous leur devons toute notre civilisation : guerres, intolérance, le pouvoir à une élite, légitimation des riches. La terre aux puissants, asservie, dévastée, violée, surexploitée. Les femmes pareil. Les enfants idem. Les faibles itou. Castration généralisée, esclavage, glorification de la souffrance et de la bêtise… « Venez à moi les moutons et les petits enfants ! Écoutez donc le lavage de cerveau de mon Élu, le bon pasteur ! Renoncez à tout ce qui est bon, à tous les plaisirs et surtout à votre pensée propre. Si vous souffrez, c’est pour être heureux, un jour, après la mort. Bénis soient les faibles d’esprit, car le Royaume des Cieux est à eux – mais rien d’autre, hein ! Il y a des puissants en ce monde qui tiennent leur pouvoir de moi : obéissez-leur, donnez-leur de grand cœur tout ce que vous possédez et regardez-les s’encanailler, s’enrichir et voler sans leur en faire reproche, puisque c’est ma volonté. »

Seulement voilà, c’est précisément ceux qu’Il a désignés comme ses Élus qui l’on viré à grands coups de pompes pour prendre Sa place. Le voilà à son tour asservi. Ce n’est que justice, me direz-vous, et vous aurez raison. Le seul souci, et c’est pourquoi l’Homme vit dans la terreur, c’est que ces nouveaux dieux-là sont bien plus redoutables que Lui. Faîtes donc le test : si vous prononcez le nom de Dieu en vain, vous avez autant de risques d’être foudroyé que de gagner la super-cagnotte du Loto. Allez insulter ne serait-ce qu’un flic dans l’exercice de ses fonctions et vous verrez si vous n’êtes pas foudroyé sur place !

Certains illuminés en sont, devant le désespoir de l’Humanité de trouver aide et compassion en son sein, à s’imaginer que des petits hommes gris venus de l’espace et possédant, a priori, des connaissances scientifiques bien plus évoluées que les nôtres – et de ce fait un pouvoir supérieur – se cachent parmi nous, dans le but de sauver la planète de la pollution et de la société de consommation.

LeCire and modified by Mabifixem : "Alien head"

LeCire and modified by Mabifixem : « Alien head »

Et on envoie des messages à travers l’ionosphère, dans l’espoir qu’E.T. viendra nous sauver – si ce n’est pas prier, ça ! C’est sans doute la prochaine religion qui est en train de naître : Dieu est mort, les Élus sont pourris, vive E.T. !

STOP ! Assez de sinistres petits hommes gris ! Assez d’appels à l’aide intersidéraux ! Assez d’invocation d’un supposé pouvoir supérieur dont les miracles ne sont que des manifestations de force ! Dans sa faiblesse l’Homme cherche perpétuellement la protection d’un surhomme, survivance inconsciente de la toute petite enfance, où les parents semblent être des géants protecteurs – ou pas… -, dotés de pouvoirs illimités, auxquels il est dangereux de désobéir. Les élites qui nous gouvernent l’ont bien compris, qui cherchent à nous abrutir et nous infantiliser par tous les moyens.

Il suffirait tout simplement que l’Humanité grandisse – intellectuellement, veux-je dire : on est déjà trop sur Terre ! -, pour qu’elle n’aie plus cette tentation de se mettre à l’abri en se soumettant au pouvoir d’un plus fort. Pour être libérée de son attirance pour la tyrannie – qui n’est rien d’autre qu’une infantilisation – et de son besoin de croire en Dieu – Papa ! Pour que chacun se prenne en mains individuellement – méthode Coué : « Je ne suis pas un mouton, donc je n’ai pas à suivre le troupeau ! » – et refuse alors que quiconque lui dicte sa conduite. Pour dépasser ce sentiment d’impuissance qui nous maintient dans l’enfance et nous pousse à obéir, et agir enfin en êtres libres.

Libres, pas puissants.

La liberté, c’est penser par soi-même. Penser par soi-même, c’est d’abord pouvoir formuler des idées complexes : cela demande un vocabulaire étendu. C’est aussi atteindre un niveau de culture suffisant pour prendre du recul et envisager les multiples évolutions possibles d’une situation.

La liberté, c’est se considérer comme un individu unique, différent. C’est par là même accepter que l’autre soit différent, lui aussi.

La liberté, c’est l’indépendance : je ne dépends de personne et personne ne dépend de moi. C’est donc renoncer à la fois à l’asservissement et au pouvoir.

La liberté, c’est la tranquillité d’esprit. C’est ne plus avoir peur. C’est vivre dans un monde en paix. C’est savoir qu’on mangera toujours à sa faim. C’est savoir qu’on restera en bonne santé.

L’Homme a l’intelligence nécessaire pour réaliser bien mieux que de rares miracles. Il a  l’intelligence nécessaire pour se libérer des guerres, des maladies et de la faim.

Il a l’intelligence nécessaire pour vivre sans dieux, sans lois, sans élus, sans élites, sans puissants, sans frontières, sans argent, sans miracles et sans peur.

Il a l’intelligence nécessaire pour être libre.

Il ne s’en sert pas.

C’est plus simple d’être un mouton.

Erin Liebt.

Plaisir engendre Tolérance et Tolérance est mère de Liberté

Plaisir engendre Tolérance et Tolérance est mère de Liberté

ou

De la transmutation des moutons en cochons

Lire des livres érotiques, les faire connaître, les écrire, c’est préparer le monde de demain et frayer la voie à la vraie révolution.

Boris Vian, Utilité d’une littérature érotique, 1948.

François Boucher : "Hercule et Omphale"

François Boucher : « Hercule et Omphale »

Le thème de la sexualité s’impose à moi.

Oh, bien sûr, mes textes révèlent des préoccupations psychologiques, sociétales, environnementales, et peut-être même politiques – il paraît qu’une œuvre qui parle de la société parle toujours de politique, alors admettons – mais mon vrai sujet, c’est la sexualité, voilà.

À croire que mon inconscient se sent investi de la mission sacrée d’affirmer encore et encore que la volupté est un don précieux, qu’il est nécessaire de défendre et de cultiver.
À la réflexion, ma démarche, pour toute instinctive qu’elle soit, ne me semble pas dénuée de sagesse : il est urgent de parler en faveur du plaisir sexuel.

On l’a cru sauvé par la libération sexuelle des années 60, et pourtant, de plus en plus, le puritanisme envahit les médias. Je suis contrainte de m’assurer que les lecteurs qui téléchargent sur ce site des e-books un peu lestes sont non seulement majeurs, mais également prévenus qu’ils pourraient être choqués. Car le plaisir peut choquer, il paraît. Je voudrais bien savoir qui ! Et aussi savoir ce qui choque, exactement.

Gustave Courbet : "L'Origine du monde" 1866 - Paris - musée d'Orsay

Gustave Courbet : « L’Origine du monde » 1866 – Paris – musée d’Orsay

Peut-être est-ce le fait que l’on dévoile ce qui doit rester cacher, je veux dire les organes sexuels. Car, partout dans le monde, on est prié de ne pas se balader sans culotte. Alors, à force de ne pas les voir, ça devient un mystère, forcément. Quelque chose à quoi on s’imagine qu’on ne doit pas penser. Quelque chose qu’on finit par regarder à la dérobée, convaincu qu’on fait je ne sais quoi de mal. Je ne vois que ça.

Parce que, voyez-vous, si j’écrivais des romans policiers, ou guerriers, pleins de crimes, de trahisons, de violences et d’immoralités diverses, pourvu qu’elles ne soient pas sexuelles, je n’aurais pas besoin de m’assurer que mes lecteurs sont majeurs et avertis. Parce que la violence, ça ne choque pas. Forcément, nous sommes accoutumés depuis l’enfance à la voir partout : dans les journaux TV, dans les dessins animés, dans les jeux, dans les films et même dans la rue et jusque dans les cours d’école. Pas besoin de lui mettre une culotte, à la violence !
Où sont les années 80 et leurs films, leurs livres, leurs publicités, où la nudité s’exposait sans fausse honte, où la sexualité n’était pas honteuse ?

De nos jours, règne le politiquement correct : pas de femme nue, c’est objétiser la femme, pas d’enfant nu, c’est sexualiser l’enfant. Pour les hommes nus, on ne sait pas trop – du moment qu’ils ont l’air hétéro, parce que sinon, c’est choquant – ou peut-être trop sexuel, je ne sais pas.

Hermann Max Pechstein : "La Tentation"

Hermann Max Pechstein : « La Tentation »

Si je comprends bien, il faut cacher la nudité parce qu’elle éveillerait le désir sexuel. Désir supposé impossible à refréner, qui transformera donc à leur corps défendant d’honnêtes citoyens en animaux assoiffés de luxure.

La section Antiquités Grecques du Louvre doit connaître un taux de viols inégalé ! Faudrait penser à rajouter des feuilles de vigne aux statues.

Et pourquoi ne pas obliger les propriétaires de chiens à mettre des culottes à leurs animaux, pour ne pas risquer de déchaîner les pulsions des zoophiles ?
Voilà identifié ce qui coince : la supposée irrépressible pulsion sexuelle, cette pulsion animale.

Depuis la naissance de l’Humanité, l’Homme veut se différencier des animaux, afin de mieux affirmer sa supériorité sur eux. L’Homme, en inventant les armes, est devenu le plus grand des prédateurs. Pour garder cette position de suprématie, il doit prendre garde à ne pas perdre ses connaissances techniques : il ne doit pas retomber dans l’abrutissement de l’animalité. Il doit donc veiller inlassablement à se différencier de ses frères, les animaux : c’est ainsi que sont nées les religions et les lois.

Ces préoccupations de l’aube de l’Humanité nous poursuivent encore dans notre inconscient : n’est-on pas pressé de voir un enfant marcher (renoncer donc à avancer à quatre pattes, comme une bête ) et aussi parler ( le langage, le propre de l’Homme), et devenir propre (ouais, c’est sale, les animaux).

"Le Roi Lycaon changé en loup par Zeus", gravure du XVIe siècle

« Le Roi Lycaon changé en loup par Zeus », gravure du XVIe siècle

C’est encore la raison inconsciente pour laquelle la violence n’est pas stigmatisée, dans les dessins animés et les jeux : la violence est nécessaire pour que l’Homme reste le maître des animaux.
Il faut regarder les choses en face : quoi qu’il arrive, l’Homme ne risque pas de perdre son humanité. Nous ne marcherons jamais plus à quatre pattes, parce que notre physiologie nous le défend désormais. Nous ne perdrons pas notre aptitude au langage, parce que notre cerveau est fait pour. Nous ne perdrons pas notre suprématie sur les animaux, parce que nous les avons presque tous détruits – on fait même tout ce qu’on peut pour les protéger.

Il serait donc temps que nous apprenions à modérer notre appétence à la violence : les seuls animaux qu’il nous reste à détruire, c’est nous-même.
Mais revenons-en au sujet qui nous intéresse. La pulsion sexuelle inquiète, parce qu’inconsciemment ou consciemment, elle est assimilée à l’animalité.

Admettons-le une bonne fois pour toute, il y a bien longtemps que notre sexualité n’est plus animale. (Le viol n’est pas un désir sexuel au sens strict du terme, mais une volonté de domination ; c’est pourquoi il n’y pas de guerre sans viols.) Il n’y a que l’être humain qui ait conscience que le sexe débouche sur la reproduction. Il n’y a que l’être humain qui utilise des moyens de contraception. (C’est pourquoi les religions qui refusent la contraception sont en pleine erreur idéologique : à l’origine, elles interdisaient la fornication hors mariage pour maintenir l’Homme hors de l’animalité ; maintenant, elles veulent qu’on n’échappe pas à la Nature ! )

Marc Franz : "Deux Cochons"

Marc Franz : « Deux Cochons »

Seulement voilà, il y a longtemps que les divers gouvernements et leurs alliées naturelles, les religions, se sont rendus compte qu’une sexualité épanouie rend l’homme puissant et la femme triomphante. Le plaisir sexuel apaise et rend heureux. Les gens heureux sont des gens tolérants. Les gens tolérants sont des esprits libres. Plaisir engendre Tolérance et Tolérance est mère de Liberté.

Les gouvernements du monde entier n’ont que faire d’esprits libres. Il leur faut uniquement un peuple de moutons, prêts à être tondus et à aller à l’abattoir quand on le leur ordonne.

Cela s’obtient très facilement. Il suffit de faire régner la bêtise, la peur et l’intolérance.
Cessons d’être des moutons ! Soyons plutôt des cochons !

Le cochon ne se tond pas et, quand on le mène à l’abattoir, il hurle sa protestation. C’est parce qu’il a un caractère, lui, un caractère de cochon. Il refuse de se laisser abattre.

Oui, soyons des cochons et, copains comme eux, roulons-nous dans la boue sans complexes et sans culotte – la boue du si choquant plaisir sexuel -, et amusons-nous à y faire plein de trucs qu’on dit sales… des trucs cochons.

Plaisir engendre Tolérance et Tolérance est mère de Liberté.

Erin Liebt.