Premières pages de… Jeux d’Ange heureux, d’Erin Liebt

Jeux d'Ange Heureux

Premières pages de…

« Jeux d’Ange heureux », d’Erin Liebt

 

– Je vous le dis, moi, qu’il y a une épidémie de morts pas naturelles, dans le quartier, depuis l’arrivée de ce couple de voyous, là, en face, dit avec force Paulette Billédoux. Cette bande de jeunes qui se sont fait tuer derrière le centre commercial, je suis sûre que ce sont ces deux mécréants-là qui ont fait le coup.

Du palier du premier étage où il espionnait la conversation entre sa nounou et son père, Ange put entendre le piétinement familier de la vieille dame – une sorte de galop sur place qu’elle pratiquait pour mieux se carrer sur ses jambes variqueuses, avant d’entamer un de ces sermons dont elle était coutumière. Elle poursuivait déjà de sa voix aigre :

« C’est vous son père, et je n’ai pas l’habitude de discuter. Vous le savez, depuis bientôt douze ans que je travaille pour vous. Mais écoutez bien ce que je vais vous dire : vous allez regretter de laisser Ange fréquenter ces gens-là ! Ils l’entraîneront dans le mal.

Joël Letréaux prit la parole :

– Vous regardez trop la télé, Paulette, émit-il de son ton las habituel. Comment pouvez-vous vous imaginer que notre voisin et sa femme assassinent les loubards à grands coups de batte de base-ball ? C’est ridicule.

– Et les deux gosses qui sont morts empoisonnés, comme par hasard, le lendemain de leur arrivée dans le quartier, c’est ridicule ? haleta-t-elle. Et madame Auberger qui est morte juste après avoir eu des mots avec elle, c’est ridicule ? Et monsieur Tanguy, qu’ils ont pris son chien ? Et…

– Et allons donc ! Êtes-vous en train de suggérer que nos voisins ont jeté le mauvais œil sur tous les habitants du quartier, Paulette ?

– Je vous dis que ce sont des empoisonneurs ! souffla-t-elle ardemment. Elle travaille dans une pharmacie, elle peut avoir tous les poisons qu’elle veut !

– Mmmh… Écoutez, je suis déjà en retard. Croyez-moi, la police se serait déjà émue, s’il y avait eu quoi que ce soit de louche dans tous ces décès. Il y a tous les jours des gens qui meurent.

Ange entendit son père soupirer, puis la porte d’entrée claquer. Il était parti sans un mot de plus.

C’était sa réaction habituelle, dès qu’il pensait à la mort de sa femme.

Elle était morte douze ans plus tôt, deux jours après la naissance d’Ange. Des suites de l’accouchement. Joël ne s’en était jamais remis. C’est alors qu’il avait embauché Paulette Billédoux, pour s’occuper du bébé.

L’oreille toujours aux aguets, Ange entendit Paulette murmurer pour elle-même :

– Je le sais bien, moi, que ce sont des malfaisants ! Des loups cruels lâchés au milieu du troupeau.

© Copyright : Erin-Liebt

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